
La fameuse pyramide de Bird nous rappelle une vérité simple : les événements graves sont souvent précédés d'une multitude de signaux plus discrets, les presque-accidents, et d'un certain nombre de situations qui auraient pu mal tourner.
Pendant mes années sur le terrain, j'ai vu cette pyramide à l'œuvre, parfois de manière flagrante, parfois plus insidieuse. On se concentre souvent, et c'est légitime, sur les Événements à Haut Potentiel (EHP) pour en tirer des leçons cruciales. Mais n'oublions pas que ces EHP sont rarement des cas isolés. Ils sont souvent l'aboutissement d'une accumulation de petites choses, de ces presque-accidents qui, mis bout à bout, créent un environnement plus risqué.
Aujourd'hui, avec l'évolution de nos métiers et la complexité croissante des chantiers, il peut sembler difficile de capter tous ces signaux faibles. Les équipes sont parfois dispersées, les préventeurs doivent jongler entre plusieurs sites, et l'information remonte moins facilement. On pourrait alors être tenté de se dire que traquer la base de la pyramide est une tâche trop lourde, qu'il vaut mieux se concentrer sur le visible, sur ce qui a déjà failli mal tourner.
Pourtant, c'est précisément là que l'intelligence artificielle (IA) et la vision par ordinateur offrent une perspective nouvelle et pleine d'espoir. Imaginez un instant pouvoir avoir des yeux partout sur vos chantiers, sans multiplier les équipes de prévention. C'est ce que permettent des solutions innovantes comme celles développées par Cad42. Pour un investissement tout à fait raisonnable, quelques centaines d'euros par mois, ces technologies analysent en continu les images de vos caméras et peuvent identifier automatiquement des situations à risque qui, auparavant, passaient inaperçues.
Prenons des exemples concrets, ceux que l'on croise malheureusement trop souvent : une Plateforme Individuelle Roulante Légère (PIRL) utilisée sans que ses stabilisateurs soient correctement déployés, un cheminement piéton traversé par le déplacement d'un engin en marche arrière, une trémie laissée sans protection adéquate, un garde-corps provisoire absent, ou encore une élingue textile qui présente des signes de détérioration. Ce ne sont pas forcément des « manquements aux règles » volontaires, mais plutôt des moments d'inattention, des habitudes prises sans forcément mesurer le danger, ou un manque de vigilance ponctuel.
L'IA, elle, ne juge pas. Elle observe et alerte. Elle permet de collecter une quantité impressionnante de données objectives sur ces situations qui auraient pu mal tourner. En analysant ces données, on obtient une vision beaucoup plus précise de la réalité du terrain et on peut ainsi mesurer la maturité de notre culture prévention. Sommes-nous dans une phase où les presque-accidents sont fréquents ? Où certains types de situations à risque reviennent régulièrement ?
Grâce à ces informations factuelles, les entreprises du BTP peuvent adapter leurs actions de prévention de manière beaucoup plus pertinente. Au lieu de campagnes de sensibilisation générales, on peut cibler les risques les plus fréquents, renforcer la formation sur les points critiques observés, et ajuster les procédures pour qu'elles soient encore plus claires et applicables sur le terrain.
L'IA et la vision par ordinateur ne sont pas là pour remplacer l'humain, loin de là. Elles sont un outil puissant pour nous aider, nous professionnels du BTP, à avoir une vision plus complète et objective de ce qui se passe réellement sur nos chantiers. En réinvestissant l'analyse de la base de la pyramide de Bird grâce à ces technologies, nous ne faisons pas que réduire les risques d'accidents graves. Nous construisons une culture de la prévention plus mature, où la vigilance collective et la correction des situations à risque deviennent des réflexes naturels pour la sécurité de tous. C'est une avancée positive pour notre secteur, et je suis convaincu qu'elle va nous aider à rendre nos chantiers toujours plus sûrs.
Tribune d’Igor CANONNE, Responsable solution HSE 4.0, CAD.42 (Linkedin).